La Corse : zone à risque pour les journalistes
Pionnier de la télévision sur l’île de beauté, le journaliste Sampiero Sanguinetti est venu, jeudi dernier, rencontrer ses « futurs confrères »
de l’IUT de Cannes. A peine avait-il le pied posé sur le continent, que
le responsable d’antenne de France 3 Corse a pointé du doigt les
difficultés du métier dans une région en crise.
A son
arrivée au théâtre du collège international qui héberge l’IUT, tout
n’est qu’étonnement et ricanement. Il faut dire que le journaliste
arbore une allure hors du commun. Cheveux mi-longs et grisonnants,
veste à carreaux un peu désuète et bacantes lissées au poil près : « C’est une caricature de corse !»
lance un étudiante à sa camarade. A 52 ans, Sampiero Sanguinetti est à
l’image de sa carrière : atypique. Une mise au placard, trente-sept
inculpations, deux expulsions du territoire corse et de nombreuses
mutations sont venues couronner sa liberté de ton : « J’ai eu pas mal d’ennuis », minimise t-il devant son auditoire.
S’il
en est arrivé là, c’est qu’il a abordé les thèmes qui fâchent ; des
grands scandales corses aux mouvements séparatistes. Le chef d’antenne,
conscient des foudres qu’il allait s’attirer, s’est même risqué à
donner la parole aux indépendantistes. Avant 1982 et l’adoption de la
loi sur la liberté de la presse, au large des côtes, il fallait cacher
la crise identitaire. Sampiero Sanguinetti se remémore cette période où
il était rédacteur en chef de France 3 : « S’il y avait
un attentat ou une manifestation, je le disais. Mais le préfet
m’appelait pour me sommer de me taire afin de ne pas encourager les
terroristes. On ferme les radios, on arrête de publier les journaux
alors ! ». Et forcé de constater : « Voilà, en Corse, c’était ça, c’est toujours un peu ça ! ».
« La Corse en fait, c’est Bagdad ! »
Une
information sur fond de censure politique, mais surtout de révolte
populaire. Les médias, accusés à la fois de donner une mauvaise image
de la Corse et de conniver avec le FLNC (Front de libération national
de la Corse), sont pris pour cible. L’émetteur et les locaux de France 3 en feront les frais à plusieurs reprises : « On fait des mécontents dans une zone de crise quand on est journaliste », constate, désabusé, le responsable d’antenne. « La Corse en fait, c’est Bagdad ! »
dit à voix basse une journaliste en herbe. La réflexion prête à
sourire, pourtant la jeune fille ne s’est trompée que de peu. Quelques
instants plus tard, le conférencier n’hésite pas à faire un parallèle
avec le conflit israélo-palestinien, au grand étonnement de
l’assemblée. Selon lui, les conséquences liées aux affrontements y sont
« différentes » mais le traitement journalistique resterait « du même genre ». Comprenez tout aussi risqué.
Sur l’île de beauté, politiques
et autorités ne sont plus les seuls visés. La violence s’immisce aussi
par les portes des rédactions pour finalement pénétrer le cercle privé.
Christine Clerc, journaliste au Figaro a vu sa voiture mitraillée pour
avoir publié un article sur les violences faites aux continentaux.
Sampierro Sanguinetti, lui, a côtoyé le danger via des menaces
anonymes: « Les gens qui profèrent des menaces ne sont pas ceux qui vont attenter à votre vie. C’est précisément quand on n’en reçoit pas que les risques sont importants ».
L’auditoire reste bouche bée. Si les soixante-dix étudiants présents
connaissaient déjà la situation corse, peu d’entre eux avaient réalisé
la difficulté d’y exercer leur futur métier. Les jeunes plumes ralliées
à sa quête d’objectivité, reste à Sampiero Sanguinetti de gagner aussi
la confiance du public corse. Depuis 2001, il est chargé de la mise en
place de Via Stella, une chaîne de télévision numérique sur l’île. Peut être atteindra t-il ainsi son but : « Résoudre les problèmes en informant, non en pratiquant la violence ».